Langlade est l’une des 3 grandes îles de l’archipel Saint-Pierre et Miquelon. C’est celle qui possède les plus hautes falaises côtières. Elle est surmontée d’un grand plateau de lacs et tourbières alternant avec de belles vallées boisées encaissées, autant dire un terrain difficile à parcourir à pied.
En kayak on peut profiter de très belles grèves nichées dans les falaises ainsi que d’une belle diversité de formations géologiques colorées. C’est ce qu’on vous emmène découvrir sur la côte Est, des Grandes Pointes à l’Anse du Gouvernement. Pour se situer, voir l’article Itinéraires sauvages en kayak de mer à Saint-Pierre et Miquelon.
Traversée de Saint-Pierre à Langlade
Au départ de cette virée de 2 jours, 29 et 30 juin 2021, au port de Saint-Pierre le matin, le ciel est bleu, la température de l’air autour de 10°c, tout comme celle de la mer, le vent SE de 3 Bft, la houle SO d’environ 1,2m.
Du Grand Colombier, nous mettons le cap sur Langlade, aux Grandes pointes, pour une traversée de 3MN. Les nombreux alcidés nichant au Grand Colombier nous survolent en tous sens, tout affairés à aller chercher du lançon pour nourrir leurs jeunes. Les macareux moine, guillemots de troïl et pingouins tordas animent agréablement la traversée.
Nous croisons la route d’une bande de dauphins à bec blanc. Ce grand dauphin est couramment observé autour de l’archipel, il se reconnaît aisément à la belle tache blanche qui jouxte la nageoire dorsale.
Dans la baie entre Saint-Pierre et Langlade, la houle est sensible et une agitation inattendue se manifeste en approchant la côte de Langlade. Cette zone est souvent agitée, même par petites conditions.
Les falaises du nord-est
Passées les Grandes Pointes, une escale à l’Anse à la Gazelle est bienvenue. Cette portion de la côte Est de Langlade appartient à la formation géologique dite de « chapel island », composée de siltites (roche sédimentaire à mi chemin entre le grès et le schiste) gris vert.
Ces changements de couleur des siltites, rouges ou vertes, sont dus à des variations des conditions chimiques, oxydantes ou réductrices, lors du dépôt des sédiments.
Ces roches se délitant en plaques produisent de grandes dalles lisses inclinées plongeant dans l’eau. Ces sites offrent des reposoirs de premiers choix aux nombreux phoques communs qui occupent cette côte.
Les hautes falaises surmontées d’un long bandeau de forêt boréale se succèdent. Nous voici à l’Anse à Ross, une dizaine de cabanes sont regroupées à l’extrémité d’une longue et belle plage de galets, en contrebas d’un petit vallon boisé.
Ces cabanes sont utilisées à la belle saison pour les activités de pêche récréative ou pour la chasse, à l’automne. Ce sont principalement des habitants de Saint-Pierre qui les occupent. Édifiées sur des terrains de la collectivité, les propriétaires possèdent en propre la cabane mais non le terrain sur lequel elle est bâtie. En ce mois de juin, les pêcheurs font des va-et-vient pour relever les filets à saumon et les casiers à homard.
Nous longeons alors les plus hautes falaises de l’archipel. D’un point de vue géologique nous voici devant une formation dite « de Random » constituée de quartzites bruns et blancs ainsi que de grès feldspathiques.
Tout à coup le majestueux Cap Percé apparaît, c’est un vrai plaisir de franchir sa porte voûtée, le genre de passage qu’on espère en rasant les côtes en kayak !
Côté géologie, l’îlot du Cap Percé est le seul endroit de l’archipel où il est possible de voir la formation « de Brigus », composée de superbes schistes gris et rouges en alternance.
Passé le Cap Percé, nous approchons de l’Anse aux Soldats. Une jolie petite crique bien exposée constituera une parfaite halte de midi. Très abritée du vent, elle offre une chaleur digne de l’été mais aussi un magnifique point de vue.
La longue plage sud de l’Anse aux Soldats est bordée de versants rocheux de schistes noirs, « formation de Manuels river », riches en fossiles, trilobites notamment. Ces roches très friables se délitent en innombrables petits morceaux tranchants.
Un lieu de bivouac pittoresque
Au Cap aux Morts, nous surprenons des phoques communs sur les rochers alors que nous empruntons une belle passe rocheuse.
Passé le cap, une crique de galets très abritée nous séduits au premier coup d’œil, nous poursuivons vers l’Anse du Gouvernement, mais notre choix est fait, le vent SE se renforce nous nous installons au Cap aux Morts !
En fin de journée nous observons au moins 2 petit rorqual qui s’alimentent activement devant le cap.
Plus petit représentant des baleines à fanons, le petit rorqual (nommé Minke whale en anglais et parfois appelé baleine de Minke en français) est relativement commun autour de l’archipel.
Il peut y être observé toute l’année. Son souffle est peu ou pas visible. Le principal critère de reconnaissance est la courte durée de sa séquence de respiration : 3 secondes (contre 6 pour le rorqual commun) entre l’apparition de l’évent et la disparition de la dorsale.
La nageoire dorsale est assez haute et bien recourbée, située plutôt vers le milieu du dos. On voit généralement la courte émergence du dos et de la dorsale, donnant parfois l’impression d’un « gros dauphin ». L’espèce mesure quand même dans les 10 mètres de longueur mais seul 1/7ème du corps de l’animal émerge à chaque respiration !
La plage n’offrant pas suffisamment de place, nous installons le bivouac un peu plus haut sur un beau promontoire d’herbe grasse. Tôt le matin, les souffles de 3 petit rorqual nous tirent de la tente pour admirer le spectacle tout proche.
En cette saison les pentes escarpées sont couvertes de végétation, le vert foncé des sapins et des épinettes se mélange au vert tendre des graminées et des osmondes cannelles. Par petites taches les arbres feuillus, tels que le bouleau à papier ou le sorbier d’amérique, tentent d’assurer l’avenir malgré la présence du cerf de virginie. Les petits semis d’arbre lui procurant un apport nutritif très apprécié, le renouvellement de la forêt est largement compromis par l’animal.
Retour dans la grisaille et la brume
Changement d’ambiance dès le lendemain, c’est habituel ici, aux belles journées ensoleillées succède la brume…
L’Anse aux Soldats abrite un petit groupe de cabanes, c’est un site ancestral sur lequel le capelan vient « rouler », de mi-juin à mi-juillet, il vient frayer sur le rivage.
Une fois récoltés, ces petits poissons étaient utilisés comme appâts (la boëtte) pour la pêche à la morue ou encore consommés après avoir été salés et séchés sur les grillages tendus sur des tables (les vigneaux).
Cette ressource s’étant considérablement raréfiée, les épisodes de frai du capelan se font bien rares et peu intenses aujourd’hui.
Pour en savoir plus : documentation (dont la géologie !) sur le site de la Plateforme de recherche interdisciplinaire et internationale sur les écosystèmes et sociétés subarctiques.
Cet article est dédié à Alain. Très actif dans diverses associations de kayak de mer en Bretagne, Alain était toujours partant pour nous encourager dans nos projets kayak. Il nous a fait partager aussi quelques uns de ses plus beaux bivouacs en Bretagne nord, nous y retournerons pour le remercier de ce cadeau.
