Terre-Neuve, Conche : au cœur du French shore

Falaises de la presqu’île de Conche

Poursuivons notre exploration de la Grande péninsule nord, après Port au Choix : terre de caribous, nous avons traversé la péninsule jusqu’à Conche.

Carte umap, itinéraires sur la Grande péninsule nord de Terre-Neuve

Le French shore

Vers 1510, les Portugais et les Bretons, ont été les premiers à venir pêcher aux Terres-Neuves.

Dès 1660, la côte Est de Terre-Neuve était exploitée par les Anglais; les Basques occupaient l’Ouest et les Bretons le Nord (la toponymie des lieux en témoigne : Bréhat, Belle Isle, Quirpon (Kerpont)…). Les Normands et Rochelais pêchaient sur les Grands Bancs.

Port de Conche

Par la suite, les traités avec l’Angleterre ont interdit aux Français de coloniser Terre-Neuve, ils n’avaient accès qu’à une portion de côte pour la pêche à la morue, appelée le French shore (1713 à 1904). En 1904, la France renonce à ses droits de pêche sur Terre-Neuve.

Le Petit Nord

Le Petit Nord (carte des havres de pêche), c’est la côte atlantique de la Grande péninsule nord de Terre-Neuve. Exploitée par les bretons, c’est Saint-Malo qui va s’y imposer et dominer les lieux dès 1541.

Pendant 400 ans, les pêcheurs malouins vont ré-occuper chaque été leurs installations de pêche, développer une véritable économie, et mener une guerre continuelle aux Inuits du Labrador. Ceux-ci étaient intéressés par le métal (fer) qu’ils trouvaient dans les pêcheries pour la fabrication de leurs outils (pointes de harpon, flèches…).

Southwest Crouse, ancien havre de pêche

Conche était un de ces havres de pêche, qui comptait quelques centaines d’hommes et leurs dizaines de bateaux.

Une saison de pêche

Ils pratiquaient la pêche à la morue sèche, c’est à dire une pêche côtière en petites embarcations, les morues étant mises à sécher à terre et/ou dans des installations couvertes (chaffauds) sur le littoral.

Les terre-neuvas arrivaient chaque printemps pour pêcher et saler la morue, jusqu’à l’automne. Dans le même temps, les colons anglo-irlandais s’établissaient à Terre-Neuve; certains étaient engagés pour garder les installations françaises durant l’hiver.

Mise à l’eau à Southwest Crouse harbour

Tour de la presqu’île de Conche

La véritable raison qui nous a menés à Conche, c’est sa pépite : une tapisserie monumentale qui raconte l’histoire locale ! Mais nous irons la voir plus tard car ce matin le temps est calme, les prévisions propices, et l’on sait que dans le secteur il faut savoir être opportuniste !

Cartes topographiques officielles, Circumnavigation de la presqu’île de Conche, 7.5 milles nautiques

Nous décidons de faire le tour de la presqu’île sans plus de renseignements, sans avoir repéré les lieux. Quittons notre anse abritée, lieu d’un ancien havre de pêche, pour la côte sauvage.

Départ de Northeast Crouse, à Captain Coupelongue Gravesite

Crouse harbour nous permet une mise à l’eau facile. En sortant de l’anse, au large nous apercevons des îles massives : les Grey islands, (Groais and Bell islands). Les noms originaux, Groix et Belle île en Bretagne sud (France, Morbihan) ont été anglicisés.

En virant Frauderess point, au large les Grey islands

Nous longeons ensuite la côte Est de la péninsule de Conche et son relief imposant (point culminant à 350 m). Nous pouvons faire une pause sur la première partie du parcours, de petites grèves exposées au sud-ouest offrent un abri à la houle.

Sur le reste du parcours se dessinent de nombreuses petites grèves mais la forte houle d’est interdit tout débarquement.

De belles petites grèves, inaccessibles avec une houle d’est

Les falaises sont constituées de grès, pélites et dolomies rouges, grises ou verdâtres. Ces formations de schiste et de grès présentent par endroits des traces pétrolifères et de résidus bitumineux.

Les roches sédimentaires présentes ici sont les roches carbonifères les plus septentrionales de la ceinture des Appalaches.

Très longue portion de falaises soumises à la houle

En approchant de la pointe Sud de la péninsule, nous observons une colonie de mouettes tridactyles. Quelques 200 nids sont accrochés aux falaises, tout proches de l’eau et quelques mouettes retardataires sont encore présentes sur les nids.

Belle colonie de mouettes tridactyles accrochée aux falaises

Plusieurs dizaines de mouettes pêchent au passage du Cape Fox, avec les thons sous la surface, les bancs de maquereaux sont véritablement pris en sandwich ! Nous mettons une ligne à l’eau, sans succès.

Le courant sortant de Conche harbour est puissant, nous dérivons rapidement vers le large. Nous n’avons pas vu un seul bateau dans les environs, la pêche de plaisance à la morue sur Terre-Neuve est fermée depuis le 5 septembre.

Cap fox marque l’entrée de Conche harbour

Le parcours se poursuit en remontant la baie de Conche. Nous passons devant le petit phare de Silver Point avant de débarquer à Martinique bay.

Conche harbour et son petit phare caractéristique

Une petite marche nous permet de récupérer le fourgon resté juste au nord, à Southwest Crouse.

Si la météo est défavorable pour virer la presqu’île de Conche, une belle boucle peut être effectuée dans Cape Rouge harbour et Biche Arme. On peut ainsi flâner en zone abritée et visiter les anciennes installations, dont le petit hameau de Northeast Crouse.

La tapisserie de Conche

C’est une fabuleuse tapisserie de 72 mètres de long ! Inspirée par la tapisserie de Bayeux, elle raconte l’histoire locale des origines à nos jours, à travers une succession de scènes figuratives et colorées.

Vue générale de la splendide tapisserie

Conche, à l’écart des routes principales, ne bénéficie d’une liaison routière que depuis 1970. Habitués à fabriquer eux-mêmes les objets dont ils avaient besoin, les habitants ont développé des compétences artisanales qui perdurent encore aujourd’hui.

La tapisserie de Conche a été dessinée par Jean-Claude Roy et sa femme terre-neuvienne. Jean-Claude Roy, d’origine française et résidant à Terre-Neuve depuis des décennies, est un artiste peintre à l’imagination foisonnante.

Un extrait de la tapisserie, visible à l’Anse aux Meadows, « l’épisode Vikings »

Réalisée au point de Bayeux par 12 brodeuses locales durant 4 ans de labeur acharné, la tapisserie est mise en valeur dans une pièce qui lui est dédiée, au French Shore interpretation center. La visite de ce petit musée local est incontournable tant sa muséographie, qui relate l’histoire locale de la pêche à la morue, est de grande qualité.

En savoir plus

  • Un article des Annales de Bretagne (une référence dans laquelle nous avons puisé) : Le Petit Nord de Saint-Malo, Peter E. Pope, détaille comment les pêcheurs de Saint-Malo ont accaparé la zone de pêche du Petit Nord et y ont affronté les autochtones du Labrador
  • Un site web : Au cœur du French shore, histoire et attraits de Conche et communautés alentours
  • Un article de l’Heure de l’Est : Broder toute l’histoire de la province de Terre-Neuve-et-Labrador, ou comment a été réalisée la tapisserie de Conche
  • Un roman : Le maître de Conche, Françoise Enguehard, 2022. Ce livre qui vient de paraître relate l’installation d’une colonie anglo-irlandaise à Conche et sa cohabitation avec les pêcheurs français
  • Un court film (13 min) sur l’œuvre monumentale de Jean-Claude Roy : Tous les jours, ou les milliers de peintures de cet artiste qui parcourt toutes les anses de Terre-Neuve
L’érosion des schistes, friables, engendre une côte bien ciselée

Conclusion

La visite de cette portion de la Grande péninsule nord nous a donné l’occasion d’approfondir l’histoire de la présence française à Terre-Neuve. La ressource « morue » a été une fabuleuse monnaie d’échanges et de développement économique. Sa surexploitation a pris fin avec le moratoire de 1992 imposé par le Canada afin de sauver l’espèce.

Petit phare de Silver Point, entrée de Martinique bay

Les populations locales l’ont vécu comme un véritable choc, voire un effondrement. Les gens de ces communautés qui ont échappé à l’exode ont dû se battre pour continuer à exister. La tapisserie de Conche est une œuvre collective comme rarement menée. A elle-seule, par sa beauté et son intérêt, elle mérite un détour à Conche.

A suivre : Terre-Neuve, Quirpon « la magnifique » : festival de baleines

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