Entre la fin juin et le début août 2023, nous avons navigué autour de la péninsule de Bonavista. Nos randonnées, sur une ou plusieurs journées, nous ont permis d’explorer la côte depuis Saint Brendan’s en baie de Bonavista jusqu’à Random island en baie de Trinity.
Quelques repérages à terre nous avaient révélé la beauté de ces côtes et leur potentiel à explorer en kayak de mer.
Du 5 au 8 juillet 2023 : de Trinity East à Elliston (38 milles nautiques)
Cette côte exposée à la houle de nord-est promet des conditions de navigation engagées.
La baie de Trinity est mentionnée par Bernie Howgate dans son ouvrage Around the rock in a bad mood (2006); voici ce qu’il en dit: «it was just those damn currents that local knowledge had warned me about. I had been told that the waters at the bay’s mouth could be especially dangerous if an off-shore wind picked-up. It was a place where outgoing tidal currents meet incoming atlantic swells. Those colliding forces, even under moderate conditions, could stack up waves like ruffled feathers»
Faux départ : des conditions plus musclées que prévu !
Nous quittons Trinity East le 5 juillet. La petite plage de Peace cove nous permet une mise à l’eau confortable et nous donnons nos premiers coups de pagaie à 13h00. La houle se fait déjà sentir dans la baie, mais sitôt passée la Skerwink head nous réalisons que les conditions de navigation sont plus engagées qu’attendues. Nous progressons quand même jusqu’à Fox head où finalement nous renonçons à continuer.
Nous retournons donc à Robinhood bay et dressons notre bivouac vers Devil’s cove. Cette plage de galets nous offre une vue splendide sur Skerwink et Fox heads. Un petit rorqual nous gratifie de ses allers-retours constants devant la plage.
Horse chops, au pied d’un cap impressionnant
Le lendemain, 6 juillet, la mer est calme, nous quittons le bivouac dans une ambiance humide et brumeuse. Au pied de la Skerwink head de grands bancs de capelans « roulent » (fraient) sur les plages de sables noirs grossiers. Les millions de capelans échoués ou vivants font le bonheur d’un renard roux (cross fox) ainsi que d’une loutre de rivière du Canada. Nous en ramassons à la main une poignée pour notre repas du soir.
Nous longeons les sombres falaises entre English head et Horse chops dans la brume et un petit crachin constant. Le haut des falaises n’est même pas visible. Devant le cap de Horse chops la réverbération de la houle et les courants engendrent une mer peu confortable. Seule la corne de brume du phare nous permet de le situer approximativement. Un boat tour très surpris de nous trouver là s’enquiert de la présence éventuelle d’une baleine. Le parcours est cependant égayé par la présence de nombreux pygargues (un individu tous les 500 mètres) ainsi que par l’omniprésence des mouettes tridactyles et des guillemots à miroir.
Une des rares possibilités de débarquer se présente à nous sous les cabanes de Green bay. Nous y effectuons une courte pause, froide et humide, et reprenons notre navigation vers Northern Cove.
Northern cove, une large grève abrupte et sauvage
Après une longue navigation sous des falaises austères, nous débarquons en fin d’après-midi dans la large baie de Northern Cove, accueillis par deux baleines à bosse et les traditionnels pygargues venus se repaître des capelans échoués.
Après nous être hissés en haut d’une grève pentue, les amas de bois et les gros galets ne permettent pas de dresser une tente. Plus haut sur un terre-plein nous apercevons la petite cabane verte de Ches qui est ouverte et fait notre bonheur alors que la brume humide nous envahit. Elle nous permet de nous restaurer au sec après y avoir adossé notre tente.
En feuilletant le «guest book», nous découvrons une petite note laissée par Bernie Howgate le 10 juillet 2000 lors de son tour kayak de Terre-Neuve. Comme nous, Bernie était ravi de trouver la cabane ouverte, d’autant qu’il venait d’effectuer la traversée de la baie de Trinity depuis Grates cove ! Voici ce qu’il dit dans son livre Around the rock in a bad mood : «It never ceases to amaze me, how trusting people are on the coast. This attitude of leave as you find, was a simple rule».
Quelques chants d’océanites cul-blanc se feront entendre cette nuit.
Ragged islands et Catalina, la côte habitée réapparait
Ce matin du 7 juillet l’atmosphère est toujours aussi humide. Les conditions de navigation ne sont pas trop difficiles bien qu’une belle houle de nord-est ourle de blanc le pied des falaises. Nous espérions pouvoir débarquer entre Oarblade point et South head mais c’est peine perdue. La houle déferle fortement sur les rares grèves de galets du secteur rendant tout débarquement impossible. Les guillemots à miroir sont innombrables, particulièrement aux alentours de la South head.
Comme les jours précédents, nous sommes seuls sur l’eau. Enfin nous trouvons à débarquer facilement sur les Ragged islands de Melrose harbour. Le temps de nous restaurer, un petit feu de bois de grève nous réchauffe un peu, malgré l’incessant crachin du jour. Les Ragged islands abritent de très nombreux oiseaux de mer : guillemots à miroir, mouettes tridactyles, océanites et sternes y nichent en grandes colonies.
En passant devant le phare de Green island (Catalina), les gardiens nous saluent, et peu après un hélicoptère vient les ravitailler. Nous mettons le cap sur la côte pour débarquer à Rowland head cove.
Finalement le soleil daigne nous offrir de belles éclaircies qui nous permettent enfin de sécher et de profiter de la paix absolue d’une soirée sur la grève. Coucher de soleil, feu de camp, faune sauvage abondante et solitude absolue sont les véritables joyaux de la randonnée en kayak à Terre-Neuve.
Elliston, les nuages de macareux
Ce matin, 8 juillet, nous plions la tente et le tarp trempés. Le vilain crachin persiste à nous harceler sur ce parcours très sauvage. La houle de nord-est se fait maintenant bien sentir et vient blanchir le pied des falaises. La réfraction engendre une mer clapoteuse et nous interdit tout débarquement sur cette côte orientée à l’est. Nous réussissons malgré tout à dénicher une petite grève de galets au nord de la grande baie localisée entre Whalesback et North head. Un petit cours d’eau nous permet de nous réapprovisionner en eau potable. Le déferlement de la houle nous fait passer bien au large de Flowers point où nous trouvons de nombreux macareux, des guillemots et des fous de bassan.
Après un enchaînement de falaises sur plus de 5 milles nautiques, nous voilà enfin en vue de Maberly ; hélas, toute la zone est encore plus agitée que précédemment par la houle nord-est de 1,1 mètre. Une pause sur l’eau pour réfléchir où débarquer puis nous nous engageons entre les Bird islands. Une ou deux baleines à bosse soufflent non loin de nous, au milieu des nuages d’oiseaux de mer.
L’étroit passage entre Elliston point et la colonie de macareux est accessible, nous l’empruntons et profitons d’une mer plus calme dans Elliston cove.
Débarqués sous le Sealers monument, nous déchargeons le matériel de bivouac et profitons du retour du soleil pour sécher nos affaires. Le Puffin café nous permet de nous restaurer et nous reposer bien confortablement. La météo nous annonce une baisse sensible du vent et de la houle ce qui nous permet d’envisager la poursuite du parcours, idéalement jusqu’à la ville de Bonavista. Nous sommes optimistes car ce soir nous avons enfin un rayon de soleil et un beau panorama sur les îles.
Hélas, à notre réveil, c’est une brume à couper au couteau qui nous accueille ! C’est la déconvenue car nous avions encore l’espoir de passer le majestueux Cap de Bonavista !
Nous décidons d’abandonner ici pour cette fois. L’hospitalité des Terre-neuviens n’étant pas une légende un jeune d’Elliston, Steve, se propose de nous ramener à Trinity pour récupérer notre véhicule.
Conclusion
Nous venons de vivre 5 journées de navigation éprouvantes. Dans un temps toujours couvert, humide et brumeux, nous avons parcouru de très longues portions de falaises n’offrant que de rares arrêts possibles. L’isolement est réel, nous n’avons croisé aucun bateau.
Nos tenues n’étaient pas adaptées car insuffisamment imperméables. Nos combinaisons étanches auraient été préférables mais après la canicule que nous venions de vivre fin juin, nous n’avons pas voulu nous suréquiper, à tort ! Les conditions faibles de vent et de houle étaient favorables pour entreprendre ce parcours mais la contrepartie a été l’apparition de la brume humide et persistante.
Nous avions rêvé d’une arrivée majestueuse sous le soleil entre les îlots à macareux, car Elliston est le site incontournable qui offre un accès facile à l’observation de ces oiseaux fascinants appelés « puffins » en anglais.
A suivre :
Du 13 au 15 juillet 2023, en boucle depuis Dunfield via Cat cove et Anthony island (34 milles nautiques), sous le soleil !