L’extrémité nord de Terre-Neuve est le terrain de chasse des baleines à bosse. C’est à Quirpon island que se prennent les photos emblématiques utilisées pour la promotion touristique de Terre-Neuve-et-Labrador, là où les icebergs et les baleines convergent.
Les 20 et 21 septembre 2022, la saison des icebergs est finie depuis longtemps, en revanche nous partons à la « chasse à la baleine »… On vous emmène au nord du Détroit de Belle Isle, avec vue sur le Labrador !
Attente du créneau météo
Mais, pour aller à Quirpon island, il faut avoir une belle fenêtre météo car cette île, qui forme la pointe nord de Terre-Neuve, est soumise aux courants et à la houle. Et comme disent Redmond and Murphy : « On a beautiful day, this paddle is straightforward but on most days it is most suited for experienced kayakers only ».
Ces derniers jours la météo est pluvio-venteuse, nous en profitons pour explorer le secteur qui permet de riches découvertes.
D’abord le site historique national de l’Anse aux Meadows (fr), qui reconstitue la vie des vikings qui ont occupé cette côte vers l’an 1000. Les scandinaves ont débarqué en Amérique du nord en passant par le Groenland. Leur camp de base leur donnait accès au Saint-Laurent qui leur permettait de s’approvisionner en matières premières notamment bois, fruits à coques et raisin.
De très belles balades sont à faire à Raleigh, Shipcove, Burnt cape ou encore St Lunaire-Griquet.
Au départ de Quirpon, un superbe sentier côtier (Fortune route) permet de prendre la mesure de l’âpreté de cette côte Est si découpée.
En route pour Quirpon island !
Enfin le créneau tant attendu s’annonce, temps dégagé sans vent, mais encore de la houle d’Est qu’il est difficile d’apprécier depuis la côte. Nous partirons l’après-midi et retour le lendemain en fin de matinée; c’est un peu court mais il ne faut guère espérer mieux.
Nous allons prendre nos renseignements auprès du gérant de l’hôtel Quirpon lighthouse Inn qui effectue ses rotations en zodiac pour récupérer ses clients au port et les acheminer sur l’île.
Edward English nous accueille avec le sourire, nous confirme avoir une chambre disponible et nous prodigue ses conseils pour l’accès en kayak. Il nous prévient que nous devrions trouver des conditions agitées à l’Est et que virer le cap Columbia point ne sera peut-être pas possible. Dans ce cas nous pourrions toujours débarquer à Pigeon cove et rejoindre le phare à pied. Ed nous précise aussi qu’il veille le canal 16 de la VHF.
Nous quittons donc le continent en fin de matinée pour longer la côte Est de l’île de Quirpon. Au passage de Whale point la houle se fait sagement sentir.
Après une petite pause pique-nique quasi estivale à Clue cove, nous voilà repartis.
Passé le premier cap, Ron galets head, la mer est soudain bien chahutée.
Un fort courant associé à un beau reste de houle et sa réfraction sur les falaises obligent à assurer les calages. Et nous voilà surpris par un spectacle inattendu.
Deux baleines s’alimentent activement au ras des falaises. Elles sont toutes proches, mais situées dans la zone de déferlement de la houle. Nous nous demandons comment elles se débrouillent pour évoluer si près de la côte.
Nous pénétrons dans le Dégrat harbour, bien à l’abri de l’île du même nom. Le grand calme de cette baie contraste avec l’extérieur et nous offre une petite pause régénératrice. Il y a là de quoi assurer un beau bivouac.
Sitôt repartis pour continuer notre progression plein nord, une baleine à bosse nous gratifie de deux superbes breachs (sauts) successifs !
Ed nous a signalé un tickle (passage) entre la côte et Columbia point. Malgré la houle nous nous engageons pour tenter le passage. Une belle déferlante bouche la sortie du tickle, il nous faut ressortir et contourner la pointe.
La mer est agitée sous l’effet de la houle et du courant, nous franchissons Colombia Point en serrant bien nos pagaies. On navigue entre côte déchiquetée et grand large, ambiance très sauvage !
Le débarquement sous le phare se dessine au fond de l’anse. Par contre un certain doute nous étreints à voir l’état agité de la côte, Ed a dit que ça débarque alors on y va !
Effectivement on débarque assez facilement, c’est marée basse. Le temps de monter les kayaks, se changer, et le spectacle commence : deux baleines à bosse viennent s’alimenter dans le fond de l’anse, à 100 mètres de nous !
Elles sont deux adultes à rabattre les harengs, une fois les bancs de poissons acculés dans le fond de l’anse, elles n’ont plus qu’à faire ripaille, sous nos yeux ébahis.
Elles ouvrent grand la gueule, la laissant ouverte plusieurs secondes pour laisser l’eau s’écouler à travers les fanons, puis la referment sur leurs innombrables petites proies, quelques unes s’en échappant sur les côtés !
Jusqu’au soir elles se livreront une demi-douzaine de fois à ce petit manège.
Suivi des baleines à bosse
Les baleines à bosse font l’objet (de par le monde) d’un suivi assidu de très nombreux observateurs passionnés. Ce suivi consiste en l’identification des individus grâce aux dessins et marques caractéristiques portés sur leur nageoire caudale (face inférieure). Grâce à la photo-identification certains individus sont reconnus et suivis depuis longtemps, en général dans leurs zone de répartition connue. Un exemple : Hepzibah, baleine de Terre-Neuve Labrador, observée en 1977 puis en 2022, soit à 45 ans d’écart !
Une de nos 2 baleines de Quirpon island a été identifiée par Happy Whale. Photographiée une première fois à Terre-neuve, dans la Witless bay, le 26 juillet 2013, elle a ensuite été observée en hivernage en république Dominicaine en 2019, puis par nous-mêmes à Quirpon en Septembre 2022.
Une nuit de bout du monde à Quirpon island
Depuis l’anse, on rejoint à pied le phare du Cape Bauld. Dans les bâtiments adjacents se logent les chambres du Quirpon Lighthouse Inn.
Le phare du Cape Bauld est né d’une première construction bois érigée en 1884, suivie d’une nouvelle tour en fonte avec contreforts béton en 1906 (le même style que le phare de pointe plate à Langlade) et enfin une nouvelle tour octogonale en 1961. En 1998, Ed English se porte acquéreur des bâtiments d’habitations pour y développer une activité touristique.
Le logement au phare a su conserver le style originel des bâtiments. Dans une ambiance cosy et très « british » Ed, son épouse et leurs employés nous accueillent avec chaleur et de bons petits plats de cuisine locale mijotés sur place.
Ed, coach BCU (ex importateur des marques Valley sea kayaks, SKUK ou P and H), possède une flottille de kayaks de mer et proposait des découvertes kayak à ses clients. Nous ne pouvions pas tomber mieux ! Il a arrêté l’activité kayak car le secteur est trop engagé pour les débutants. Il nous apprendra que, pour cette année, nous sommes les seuls kayakistes à avoir pu venir à Quirpon et en faire le tour !
Coucher de soleil avec les renards
Le soir les alentours du phare s’animent de la présence sympathique de 4 renards roux venus récupérer les restes de nourriture.
Deux individus sont bien roux et 2 autres chamarrés de roux et de sombre (dits « cross »). On distingue trois formes de renard roux à Terre-neuve : le roux classique, le mélanique dénommé « silver » et les intermédiaires : cross foxes.
Vue sur Le Labrador et Belle isle
Nous profitons pleinement de cette soirée d’une tranquillité absolue avec de magnifiques lumières. Ce que la photo ne rendra jamais c’est l’ambiance sonore des lieux : la sérénité du grand large agrémentée du bruit du ressac et des souffles puissants des baleines qui se feront entendre jusqu’au crépuscule.
Les souffles sont aussi accompagnés de sortes de barrissements puissants, qui transcendent l’ambiance magique des lieux.
Perchés en haut des falaises, à côté de la nacelle vitrée suspendue, nous savourons les derniers rayons du soleil couchant, une baleine tardive à nos pieds et les renards déambulant dans notre dos.
Navigation retour par l’ouest
Le lendemain matin le temps est toujours clément bien que le vent commence à se manifester. Nous retrouvons les deux baleines toujours affairées à piéger les harengs dans l’anse.
Après un passage sous les kayaks, elles semblent nous accompagner jusqu’à la pointe nord de l’île, que nous virons, avant de redescendre la côte ouest, bien abritée.
Sur cette portion de côte, plus abritée de la houle mais tout aussi escarpée, une seule petite grève permet de débarquer : Cod cove.
Nous voilà revenus à Quirpon, la « mainland », avec le regret de ne pas avoir profité plus longtemps des lieux mais nous promettant de revenir.
Par le passé, Quirpon n’a pas toujours eu cette aura enchanteresse : à l’époque des premières installations de pêche (16ème siècle), elle était censée abriter toutes sortes de maléfices, c’était l’île des démons.
Conclusion
Virer Quirpon island nécessite de très bonnes conditions météo pour s’y aventurer. Même sans vent la mer est agitée sous l’effet de la houle et du courant. Naviguer sur la côte Est nécessite de ne pas sous-estimer la houle, elle est toujours de secteur Est-NE dans ce secteur et beaucoup plus sensible au fur et à mesure que l’on progresse vers la pointe nord. Le passage de Colombia Point est délicat car il n’est pas facile d’anticiper l’état de la mer en fonction de la marée (les infos ne se trouvent pas).
Un détour par Quirpon island constitue vraiment un moment puissant lors d’un séjour à Terre-Neuve, et si l’on peut s’y rendre en kayak c’est encore plus fort… Au moins une nuit s’impose sur cette île de rêve. Nous avons eu la chance de profiter d’un créneau météo exceptionnel quelques jours avant la fermeture de fin de saison du Inn.
En savoir plus
- Lieu historique national du Canada de L’Anse aux Meadows (en), base des vikings vers l’an 1000
- Site de référence sur le suivi des baleines (en) dans l’Atlantique NO
- Whales in the cove : vidéo de plusieurs baleines s’alimentant dans l’anse de Quirpon island
- Vidéo de promotion Quirpon Lighthouse Inn et ses attraits alentours
- Ed dans son kayak Explorer (NDK), entre baleines et icebergs
- Sea Kayaking Quirpon Island in Newfoundland, Paddle TV : pratique du kayak engagée !
Très jolie surprise, nous avons découvert ce tableau au mur de notre chambre :