Site du bout du monde, Pointe Plate au sud-ouest de Langlade, est difficile d’accès, par mer et par terre. Visiter ses côtes environnantes en détail nécessite aussi du temps et elles le méritent pleinement. S’y rendre en kayak de mer impose de bénéficier de conditions particulièrement calmes.
Avoir le bon créneau météo sur 2-3 jours reste rare à Saint-Pierre et Miquelon ! Nous avons eu cette chance les 10-11-12 août 2021 et nous en avons largement profité !
Itinéraire
Nous l’avions recensé dans les Itinéraires sauvages en kayak de mer à Saint-Pierre et Miquelon. La côte Ouest de Langlade est moins abrupte que la côte Est évoquée dans l’article Au pied des superbes falaises de Langlade, cependant son exposition impose des conditions météo particulièrement favorables pour l’approcher, sans vent et surtout sans houle (moins de 1 mètre).
Depuis Saint-Pierre, en partant de Savoyard, la traversée est de 4,3 MN pour atteindre le Cap aux Voleurs.
Du Cap Coupé au Cap Bleu
La côte qui s’étend du Cap Coupé (Pointe du Ouest) au Cap Bleu n’est accessible que par la mer. Aucun sentier ne permet d’accéder à cette côte sauvage, y venir depuis le nord de Langlade représente une grosse journée de marche en terrains difficiles.
Les géologues nous indiquent que les plis et les failles de cette côte sont liées à l’édification de la chaîne de montagnes des Appalaches (*).
Les pointes schisteuses et leurs innombrables failles constituent un habitat de choix pour un petit alcidé très « smart » : le guillemot à miroir (Cephus grylle). Espèce circumpolaire répandue dans tout l’hémisphère Nord, le guillemot à miroir est très facilement identifiable à son plumage nuptial entièrement noir porteur d’une large tache blanche sur l’aile. Ce bel oiseau exhibe des pattes rouge vif.
Le guillemot à miroir est l’un des alcidés de l’archipel les plus tardifs à se reproduire. Il niche en petites colonies éparses, de quelques couples à quelques dizaines de couples. A l’instar de ses cousins du Grand Colombier, il ne construit pas de nid et dépose sa ponte de 2 œufs dans une fissure de rocher. En ce moment, les jeunes commencent à quitter les nids et on peut les entendre appeler plaintivement du fond de leur cachette. Tout notre parcours sera égayé du vol de plusieurs centaines de ces oiseaux ainsi que de leurs cris aigüs très caractéristiques.
Contrairement aux autres alcidés présents dans l’archipel et qui vont chercher leur nourriture parfois à plusieurs dizaines de kilomètres de leurs colonies, le guillemot à miroir exploite la zone côtière proche pour y pêcher. Il y capture principalement des petits poissons de roche (gonelles, cottes, chabots, chaboisseaux ou stichée arctique) et de petits crustacés.
Le passage au plus près de la côte offre un enchaînement de zones schisteuses de toutes couleurs en alternance avec de petites baies sableuses recouvertes à pleine mer.
Cette superbe portion de côte a des petits airs celtiques lorsque l’on passe un peu au large. D’ailleurs n’y trouve t-on pas une bien nommée anse de Saint Kilda ?
Le Cap Bleu
Point d’orgue de ce parcours le cap bleu est un véritable condensé de sensations : passes à cailloux, pitons schisteux, passage sous arches et grottes, schistes violets, bleus, gris ou noirs, une merveille pour le kayak de mer !
L’anse de Maquine
En virant le Cap Bleu, s’ouvre à la vue l’immense Anse de Maquine, dite aussi Anse du sud-ouest. On accède très rapidement à l’anse de Dolisie où se nichent 3 cabanes. Bien abritée, elle permet une première vraie halte depuis le Cap aux voleurs. Les côtes, toujours ciselées, cachent quelques belles petites grèves de galets bien abritées.
Dénommés localement « loups marins », les phoques gris et phoques communs se perchent un peu partout dans les failles schisteuses. On s’invite ici dans leur jardin d’algues.
Puis le relief s’adoucit, les pentes se font plus verdoyantes, nous voici arrivés dans la grande anse de Maquine.
D’un point de vue géologique, l’anse repose sur un ancien plancher glaciaire, des dépôts fluvio-glaciaires s’y sont accumulés lors du retrait de la dernière calotte glaciaire datée à environ 20 000 ans (*).
Cette baie peu profonde abrite, en alternance avec des platiers rocheux, de grandes plages de sable clair.
A marée basse, les platiers rocheux fourmillent de bigorneaux (dénommés localement « vignettes ») de belle taille, dont nous profitons agréablement au repas du soir.
Plusieurs ruisseaux viennent y achever leur course, le relief plus plat offre de belles possibilités de bivouac proches de l’eau douce.
Pour partir à marée basse dans les blocs avec des kayaks chargés, construire une piste de mise à l’eau avec du bois flotté épargne bien des efforts !
Le phare de Pointe Plate
Le phare a une allure de fusée prête à décoller, il n’a plus sa forme initiale car il a été reconstruit suite à un incendie survenu une dizaine d’année après sa construction. Son fût et ses 4 jambes en métal ont été ensuite recouverts d’une chemise en béton pour les protéger de la corrosion.
Mis en service en 1883, son fonctionnement a été assuré par des gardiens et leurs familles qui habitaient sur le site durant 4 ans.
Depuis son automatisation en 1968, les habitations ont été détruites, et les abords du phare sont recouverts de gravats et restes d’équipements. Pointe Plate est accessible par la terre en 2h30 en suivant un chemin très humide depuis le parking du Ruisseau Debons.
Le site est une presqu’île et il s’en faut encore peu pour qu’il ne devienne une île sous l’action de plus en plus menaçante du niveau marin.
De Cap Corbeau au Cap Sauveur
Cette portion de côte avec ses roches et ses grèves violettes est de toute beauté. Les phoques et les pygargues qui ont élu domicile sur ces rivages ne s’y sont pas trompés.
La côte ouest de Langlade est constituée de dépôts fluvio-glaciaires meubles (plages) soulevés par le retrait de la dernière calotte glaciaire. Les sables sont organisés en strates obliques limitées par des surfaces planes de grès et siltites rouges, typiques de dépôts fluvio-glaciaires.
La difficulté d’accès à cette côte Ouest en fait un site de haute tranquillité pour la faune sauvage.
Nous y verrons aussi un bon nombre de cerfs de Virginie dans les accueillantes pentes herbeuses.
Le jour de notre retour, pour clore ce splendide parcours nous avons pu admirer un petit rorqual occupé à s’alimenter devant le Cap Bleu. Au gré de ses va et vient, il sera venu tout près de nous, agrémentant la sereine ambiance sonore matinale de son souffle puissant.
Conclusion
Avoir des conditions calmes pour explorer ce secteur est impératif pour naviguer en sécurité et admirer en détail ses côtes de toute beauté minérale. Le sud-ouest de Langlade permet d’observer quantités d’espèces animales et en grand nombre pour ce qui est des phoques et des oiseaux.
Après ces 2 journées belles et chaudes, nous avons immanquablement vu la brume s’épaissir pour nous envelopper complètement lors de notre traversée retour vers Saint-Pierre.
En savoir plus
- Géologie
(*) Guide des curiosités géologiques de Saint-Pierre et Miquelon, BRGM éditions
Formation à la géologie de Saint-Pierre et Miquelon, rapport BRGM - Ornithologie
Tout sur le guillemot à miroir (en Anglais)